Historique de l’humanitaire et de la coopération suisse
L’aide humanitaire
Depuis sa fondation en 1863, le mouvement de la Croix-Rouge a été pendant des décennies la seule organisation à venir en aide aux victimes de conflits armés. Après la Première Guerre mondiale, des organisations caritatives, souvent issues des milieux religieux ou initiées par des privés, contribuent au développement de l’action humanitaire suisse. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces organisations limitent leur aide à l’Europe et soutiennent des victimes dont elles se sentent proche sur le plan idéologique ou religieux. L’aide humanitaire devient aussi un instrument politique pour la Suisse, particulièrement durant le second conflit mondial. En la soutenant et en lançant des actions comme le Don suisse, le gouvernement suisse redore son image aux yeux des Alliés et achète son billet d’entrée dans l’Europe d’après-guerre. Lancée dès la fondation du mouvement de la Croix-Rouge, l’idée d’un Droit International Humanitaire se développe dès 1949 avec la rédaction de quatre nouvelles Conventions de Genève qui complètent les Conventions de Genève de 1864. Elles sont censées réglementer les conflits armés et ont pour but d’empêcher les crimes de guerre.
Alors que l’action humanitaire s’élargit les conflits évoluent également. Dès les années 50 les conflits de type guerre civile ou troubles internes prédominent et l’affrontement entre deux Etats devient plus rare. L’aide humanitaire ne se limite plus à l’Europe, mais commence à s’étendre à tous les continents. Dans le contexte bipolaire de la Guerre froide, les Etats de chaque bloc vont avancer le pion humanitaire dans leurs négociations et leurs oppositions.
Lors de la guerre du Biafra à la fin des années 60, des humanitaires constatent que la neutralité dans un conflit se vide de son sens. Les victimes doivent être mises au premier plan et pour cela il faut intervenir. On ne se contente plus d’aider les victimes, mais on essaie de sensibiliser les donateurs potentiels en Occident en dénonçant les injustices.
Un nouveau pas est franchi après la chute du mur de Berlin en 1989, avec l’apparition des conflits dits déstructurés ou encore identitaires ou ethniques. Dans ces cas, une multitude d’acteurs, même s’ils sont faiblement organisés et armés, agissent dans un cadre de violence extrême dont les populations civiles sont les principales victimes. Ces nouveaux conflits rendent le travail des humanitaires de plus en plus difficile et dangereux et ceux-ci doivent trouver de nouvelles formes d’intervention.
L’action humanitaire n’est pas exempte de contradictions et n’échappe pas aux critiques. Dans certains cas, on constate par exemple que l’argent récolté en Occident ne sert pas aux victimes d’un conflit mais finit dans la poche de fonctionnaires corrompus. Il est arrivé qu’une aide alimentaire mise sur pieds en faveur des civils nourrisse au contraire les combattants. Certaines actions d’aide sont inadaptées ou dans d’autres cas, les denrées ne sont pas acheminées à temps et pourrissent dans un entrepôt. Tous ces dysfonctionnements ont mené à une certaine remise en question mais aussi à une analyse plus approfondie et à une modification de l’action humanitaire.
L’action humanitaire ne se limite plus à l’aide d’urgence lors d’un conflit, mais tente de soutenir les victimes à plus long terme. On construit des structures sanitaires grâce aux fonds récoltés en Occident ou on forme du personnel sanitaire sur place et les acteurs humanitaires locaux prennent de plus en plus d’importance. On ne secourt plus uniquement les blessés d’un conflit, mais on lutte également contre des maladies comme la malaria ou plus récemment le sida.
Les personnes qui s’engagent sur le terrain de l’humanitaire le font pour différentes raisons : solidarité, engagement religieux, humanisme, idéologie, esprit d’aventure, etc. Certaines sont bénévoles et ne perçoivent pas de véritable salaire, mais bénéficient d’un défraiement qui leur permet de vivre sur place. D’autres sont salariées et font de leur vocation humanitaire un choix professionnel. Alors que par le passé un délégué du CICR prenait une année sabbatique ou interrompait ses études pendant quelques mois le temps d’une mission, il s’engage aujourd’hui dans une profession qu’il exercera plusieurs années de suite. De plus, les débouchés dans l’humanitaire, du fait de la multitude des acteurs oeuvrant dans ce domaine, sont plus grands que par le passé. Rien qu’en Suisse, il y a environ 3000 organisations d’aide qui se partagent un marché estimé à 1 milliard de francs.
Vu la médiatisation de plus en plus importante des conflits, l’action humanitaire est également devenue un sujet d’actualité relayé par les médias. Il y a des conflits dont tout le monde parle et dans lesquels il faut intervenir. Pour des raisons d’image, les Etats donateurs attendent donc des organisations humanitaires qu’ils soutiennent qu’elles interviennent là où ils seront visibles. Nous assistons même à des dérives de cette imbrication de la politique et de l’humanitaire avec des opérations politico-militaro-humanitaires comme en Somalie en 1992 ou en Afghanistan en 2001.
Les humanitaires et les coopérants agissent dans un contexte de plus en plus complexe sous la pression de la médiatisation et de la concurrence. Une réflexion critique sur les conditions de ce genre de travail et son éventuelle remise en question s’avère donc nécessaire.
La coopération
Les débuts de la coopération remontent à l’avènement de la Société des Nations. Mais ce ne sont que les concepts de coopération multilatérales engendrés par la reconstruction de l’après Seconde Guerre mondiale qui eurent une influences sur la politique étrangère suisse. Au centre du débat se trouvait l’idée qu’une politique de paix durable et de prévention de conflits n’était possible qu’en s’efforçant de réduire les inégalités sociales. Ce concept de paix trouve toute son expression dans l’article 55 de la Charte de l’ONU.
Ce sont des organisations privées qui furent les pionnières de la coopération en Suisse. La Confédération commence à s’intéresser à l’aide technique au début des années 1950. A l’époque on considérait que le développement était lié à la progression des connaissances techniques des pays du sud. Dès la seconde moitié des années 1950, l’aide technique fut complétée par une aide d’orientation plus « commerciale ». Les milieux économiques gagnèrent ainsi de l’influence dans l’aide au développement.
Au milieu des années 1950, des organisations d’entraide, comme par exemple l’Entraide des Eglises pour la reconstruction (aujourd’hui EPER), étendirent leur action au Tiers-Monde. En 1955, l’organisation d’entraide pour les pays extra-européens (SHAG : Schweizerische Hilfswerk für aussereuropäische Gebiete, nommé Helvetas dès 1965) fut fondée. A l’initiative des milieux de l’économie privée une fondation pour la coopération (Stiftung für Entwicklungszusammenarbeit) est créée en 1959 (nommée Swisscontact dès 1974). En quelques années, une grande partie de l’opinion publique fut sensibilisée aux questions de l’aide au développement, basée essentiellement sur la transmission de know-how. Afin de justifier un tel engagement on avançait des arguments moraux (contribution à la paix dans le monde) mais aussi économiques.
Trois événements illustrent le changement survenu au début des années 1960 : la création de la Direction de la coopération technique (plus tard la DDC), l’augmentation du crédit pour la coopération (un crédit s’élevant à 60 Millions de Francs sur 3 ans fut accepté en 1961) et le développement de l’aide bilatérale. Entre 1960 et 1970, l’aide au développement bénéficie d’un large soutien. La Conseil fédéral la présentait d’abord comme l’expression de la solidarité et une nécessité apolitique, alors que les autres pays la considérait comme un moyen de lutter contre le communisme. Après 1967, elle fut considérée comme une tâche d’intérêt national en conséquence de la convergence des intérêts des pays du sud et du nord. La discussion trouva un écho international dès 1970 (théorie de la dépendance, politique de self-reliance, annonce d’un nouvel ordre économique mondial, stratégies pour une garantie des besoins de base, etc…)
La DDC emploie aujourd’hui près de 600 collaboratrices et collaborateurs en Suisse et à l’étranger ainsi que 1000 employés locaux. En 2010, son budget s’élève à 1,57 Milliards de Francs. Une partie de cet argent sert à financer des projets initiés par des organisations privées issues du milieu de l’entraide suisse (swissaid, action carême, pain pour le prochaine, helvetas, caritas) qui travaille en étroite collaboration avec la DDC sans toujours partager le même point de vue politique. Les principes de la coopération, inscrits dans la loi en 1976, engendrèrent régulièrement des débats marqués principalement par la Déclaration de Berne.
Depuis les années 1960, l’ONU demande aux pays industrialisés de consacrer 0.7% de leur Produit Intérieur Brut à la coopération. La coopération officielle de la Suisse se chiffrait à 0.42% en 2008. En comparaison aux autres pays donateurs du DAC (Development Assistance Committee – comité pour la coopération de l’OCDE), la Suisse occupe le 12ème rang sur 22 pays listés.